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dimanche 19 janvier 2014

LES ICTÈRES DES PRÉMATURÉS

Peu de prématurés restent indemnes d’ictère. La quasi constance de la jaunisse au début de la vie de ces enfants, l’intensité et l’éventuelle gravité de celle-ci, sont déjà des faits qui appartiennent en propre à la prématurité : les progrès de la physiologie foetale et néonatale permettent de les mieux comprendre aujourd’hui. De plus, toute la gamme des ictères pathologiques peut se rencontrer dans les premiers jours et les premières semaines des prématurés, avec des caractères particuliers au terrain spécial sur lequel ils évoluent.

LA MATURATION DU FOIE CHEZ LE FOETUSET LE NOUVEAU-NÉ


L’interruption prématurée de la grossesse lance dans la vie extérieure un foetus qui n’est pas encore mûr pour l’indépendance. Une adaptation délicate lui est demandée : le succès ou l’échec dépendront de la structure de ses organes, de l’équipement de leurs fonctions, de la maturation des uns et des autres.

C’est au niveau du poumon d’abord, du foie ensuite que la “crise d’adaptation “ est la plus difficile. Résumons-en, pour ce dernier organe, les principaux aspects.

Les phénomènes circulatoires sont sans doute les premiers en date. La suppression brusque de l’apport sanguin de la veine ombilicale, est le fait essentiel. Cette veine débouche dans la branche gauche de la veine porte ; le torrent sanguin qu’elle apporte est en majeure partie dévié vers la veine cave inférieure par le large canal d’Arantius qui sillonne la face inférieure du foie. Mais après la naissance, la perméabilité sinon anatomique, du moins fonctionnelle de celui-ci, disparaît très rapidement, fait vérifié par LIND grâce à l’angiographie. La veine porte assure donc seule (avec l’artère hépatique) la circulation du foie, mais son débit ne s’intensifie qu’avec la mise en train de la digestion, retardée de plusieurs jours chez le prématuré. Il en résulte une stase vasculaire notable ; le foie gorgé de sang, paraît volumineux, d’autant plus que le foetus est plus petit. Pour NASSI, pour EMERY, il s’y ajoute une involution du lobe gauche du foie, plus vascularisé en raison du point d’abouchement de la veine ombilicale, et relativement plus gros que le lobe droit pendant la vie foetale : il diminuerait dès la naissance au profit du lobe droit. S. SARRUT et Ch. NEZELOF ont bien constaté une différence de coloration entre les deux lobes, mais n’ont pas retrouvé les différences histologiques signalées par les auteurs précédents.

Ces troubles hémodynamiques s’accompagnent de perturbations dans l’oxygénation du sang qui arrive au foie. Pendant la vie foetale, celui-ci, du fait de sa situation privilégiée, en dérivation sur la veine ombilicale, est le premier servi: le sang qu’il reçoit lui arrive directement du placenta et est richement oxygéné. La saturation en O2, si elle décroît progressivement dans les derniers mois de la gestation, est encore, selon WALKER, de 56,5 p. 100 à terme, elle serait notablement plus élevée avant terme (67,8% à 30 semaines). Chez le prématuré, la chute de la saturation en O2 après la naissance n’en sera que plus marquée. BORN, DAWES, et COLL. ont mesuré cette saturation chez le foetus de la brebis, et trouvé 80 p. 100 pour la veine ombilicale, 27 p. 100 pour la veine porte.

Stase et anoxie relative sont donc les deux faits les plus importants quant à la circulation hépatique du nouveau-né.
Le remaniement histologique du foie est un autre fait frappant. Il y a dans les premiers jours des modifications, les unes constantes, les autres inconstantes. On trouve toujours, outre une congestion des sinusoïdes souvent très intense, de nombreuses cellules de régénération, isolées ou en amas, reconnaissables à leurs petites dimensions et à leur chromophilie intense. Cette nouvelle génération de cellules se développe avec intensité au bout de 2 ou 3 jours, d’autant plus que le foetus est plus petit, “ pour se fondre dans la masse hépatique, cependant que d’autres apparaissent” (S. SARRUT et Ch. NEZELOF).

Un autre caractère constant du foie foetal est l’abondance des îlots hémopoïétiques : au dessous de 2.000 g., on en trouve toujours, quels que soient l’âge foetal et le poids. Cette activité décroît très rapidement dès le 3me jour pour disparaître à peu près totalement au 10me jour.

D’autres modifications sont inconstantes : fine vacuolisation cellulaire en rapport avec les troubles hémodynamiques, lésions de nécrose acidophile, altérations centrolobulaires, présence beaucoup plus rare de microthrombi dans les capillicules.

Nous noterons encore avec S. SARRUT et Ch. NEZELOF que la bile vésiculaire a une consistance particulièrement visqueuse.

L’afflux dans le foie du matériel de l’hémolyse est un troisième caractère important. Cette hémolyse néonatale, qui semble en rapport avec le début de la vie atmosphérique, est très difficile à saisir par les tests biologiques. Mais la présence d’hémosidérine en quantité notable dans le foie du prématuré nouveau-né en atteste la réalité. S. SARRUT et Ch. NEZELOF ont bien montré que la réaction spécifique de l’hémosidérine (TIERMAN et SCHMELZER), toujours négative chez l’enfant normal, est positive chez le foetus, tant dans les cellules hépatiques (50 à 60% des cas) que dans les cellules de Ktipffer (10 à 25% des cas seulement). Mais après la naissance, tandis que le fer des cellules hépatiques reste stable, le fer küpfferien augmente nettement de fréquence et d’importance, dès les premiers jours, puis surtout à partir du 10e jour et jusqu’à la fin du premier mois ; ce fer küpfferien étant “ le reflet direct de l’hémolyse “.

Un autre témoin non moins direct est l’existence des thrombi biliaires déjà signalés, ceux-ci étant d’autant plus abondants que l’ictère néo-natal est plus intense : le foie est submergé par l’afflux d’un pigment en excès, qu’il est incapable d’excréter.

La mise en train des fonctions diastasiques passe aussi par une phase critique. Certes, les diastases essentielles existent dans le foie de l’embryon et du foetus, comme Rossi, MCKAY l’ont montré pour les phosphatases, mais elles ne prennent toute leur activité qu’après la naissance. Il existe donc chez le nouveau-né, un déficit plus ou moins marqué suivant le degré de prématurité. BILLING et SCHMID ont prouvé de façon décisive l’action de trois enzymes hépatiques dans la glycoroconjugaison qui transforme la bilirubine indirecte, en bilirubine directe ; BROWN et ZUELZER ont montré qu’il y a chez le cobaye nouveau-né, un manque de ces diastases, mettant 15 à 20 jours à se réparer. Cette déficience diastasique constitue un des supports les plus marquants de la notion d’immaturité hépatique. D’autres insuffisances en témoignent encore : troubles dans le métabolisme du galactose - d’où galactosurie transitoire du prématuré mauvaise dégradation de l’ammoniaque, d’où hyperammoniémie GORTEN a montré que celle-ci fragilisait la cellule nerveuse, la rendant plus perméable à l’action de la bilirubine indirecte.

Les fonctions métaboliques du foie sont, elles enfin, incomplètement établies.

Le glycogène, apparu très précocement dans les cellules hépatiques, est peu abondant chez le prématuré à la naissance. On ne peut le caractériser que dans 20% des cas. Le fait important est qu’il disparaît après la naissance pour réapparaître entre la 36e et la 48e heure.
Il faut se rappeler combien est important le rôle des réserves glucidiques et de la glycolyse dans la lutte contre l’anoxie que doit affronter si souvent le prématuré dans les premières heures et les premiers jours de la vie.

Les synthèses protéiques semblent très actives dans le foie du nouveau-né comme en témoigne la richesse des dépôts d’acides ribonucléiques. Spécialement chez le prématuré, on voit augmenter ces dépôts après le 10e jour.

Cependant l’élaboration des globulines complexes telles que celles qui contribuent à la coagulation du sang; prothrombine, procuratorienne, pro accélérine, est plus ou moins gravement troublée chez le prématuré (ALAGILLE) ; chez ce dernier, la cellule hépatique ne “répond pas “ bien à l’injection de vitamine K qui permet normalement la synthèse de ces facteurs.

LES DIVERSES CATÉGORIES D’ICTÈRECHEZ LES PRÉMATURÉS


Les données qui précèdent nous expliquent que l’on trouvera chez le prématuré un groupe important d’ictères en rapport direct avec la maturation retardée ou imparfaite des fonctions hépatiques, celle de la glycuroconjugaison de la bilirubine au premier chef. La
prématurité est ici cause de l’ictère.

Mais il existe aussi un second groupe d’ictères, où le processus est inverse : c’est l’ictère, ou plutôt la maladie ictérigène, qui est la cause même de la prématurité, tel est le cas des hépatites néonatales.

Enfin, nous avons un troisième groupe : celui où l’ictère n’a pas de lien spécial avec la prématurité : par exemple, les malformations des voies biliaires, ou des liens inconstants, comme la maladie hémolytique.

Les malformations des voies biliaires n’ont, ni une fréquence, ni des caractères particuliers chez le prématuré. L’ictère peut manquer les premiers jours. Son évolution progressive, le syndrome de cholostase, l’hyperbilirubinémie directe, les épreuves fonctionnelles “cellulaires “longtemps normales, permettent aisément de le reconnaître. La seule cause d’erreur réside dans les ictères pseudorétentionnels dûs moins à une hypothétique “ bile épaisse “, qu’à une hépatite d’évolution traînante. Le diagnostic est difficile, il sera aidé par les tests biologiques, la biopsie hépatique, l’épreuve du tubage duodénal. Rien dans tout cela, de particulier au prématuré.

La maladie hémolytique par incompatibilité foeto maternelle des groupes Rh peut n’avoir aucun lien spécial avec la pré- maturité. Tel enfant né avant terme pour une raison quelconque peut se trouver en même temps l’objet d’un conflit immunologique. L’extrême précocité de l’ictère, apparu dès les premières heures, les caractères du foie, de la rate, les antécédents et enfin la réaction de COOMBS devront permettre un diagnostic rapide.
Mais la maladie hémolytique peut aussi être la cause provocatrice de la naissance prématurée : soit spontanée, soit provoquée. Spontanée : la situation est d’autant plus grave que l’âge foetal est moins avancé ; que les oedèmes souvent très marqués dans ce cas sont plus importants ; qu’il y a eu de plus nombreuses grossesses antérieures, la sensibilité de la mère augmentant avec le nombre des gestations. Le très petit poids de l’enfant, sa grande immaturité, l’anoxie néonatale souvent présente, sont des circonstances favorisant au plus haut point l’ictère nucléaire. - Provoquée : il s’agira alors presque toujours d’une interruption de grossesse au début ou au cours du 8me mois, donc d’un enfant déjà assez gros, de poids si possible égal ou supérieur 2.000 g., dont les chances d’élevage seront plus grandes. Les handicaps qui viennent d’être exposés contre-indiquent une interruption trop anticipée.

Dans tous les cas, dès le diagnostic établi, on recourra à l’exsanguino transfusion par la méthode habituelle. La technique n’est pas plus difficile chez le prématuré, que chez le nouveau-né à terme, mais une attention toute particulière doit être apportée au calcul exact de la masse sanguine et de la pression veineuse pour éviter toute surcharge hémodynamique. Plus délicat est le problème de diagnostic posé par l’incompatibilité des groupes O -AB. Un ictère précoce et intense, attire l’attention, mais c’ une constatation si fréquente chez les prématurés qu’on risque de méconnaître le conflit immunologique ou de se reposer sur une réaction de COOMBS négative. Il faut donc, si une telle incompatibilité est avérée faire faire une réaction de MUNK ANDERSEN à l’enfant et traiter celui-ci en conséquence.

Les hépatites infectieuses sont de deux ordres : congénitales, par infection de la mère transmises au foetus, à travers le placenta acquises dans les premiers jours où les premières semaines de la vie du prématuré.

CONGÉNITALES. - Elles ressortissent à trois catégories d’agents pathogènes : microbes, parasites et virus. Dans tous les cas, la mère est atteinte de l’infection, le plus souvent inapparente ; suivant la date de la contamination, précoce ou tardive, le foetus a subi une
infestation plus ou moins grave et prolongée ; enfin, la maladie qui atteint le foie du foetus a commencé par léser le placenta et il existe une placentite infectieuse en partie responsable de l’accouchement prématuré : sa réalité est prouvée tant dans la Listériose, que dans
le toxoplasmose, la Syphilis, les infections à virus.

La listériose est la mieux connue des infections bactériennes congénitales donnant une hépatite, dont les lésions à type de nodules nécrotiques, sont très caractéristiques. Un ictère d’apparition rapide, dès le 2me jour, une hépatosplénomégalie, du purpura, parfois des
signes cutanés : érythème ou éruption bulleuse, enfin une altération profonde du comportement de l’enfant, en sont les signes principaux. L’évolution est rapidement mortelle.

La Toxoplasmose peut donner à côté du tableau classique d’hydrocéphalie avec choriorétinite, une hépatomégalie et un ictère. Dans un cas observé par nous chez un prématuré pesant 1500 gr. à la naissance, l’enfant paraît se développer normalement jusqu’au troisième mois. L’ictère présent à la naissance et paraîssant de nature banale, persiste au delà des délais habituels, il dépasse le premier mois et va en s’intensifiant jusqu’au 90me jour. En même temps, se développent un gros foie et une grosse rate, et l’on voit évoluer peu à peu une choriorétinite sur un fond d’oeil qui, précédemment examiné était resté jusque là normal. Un traitement par la Sulfadimérazine est institué et l’atteinte hépatique rentre dans l’ordre; il ne persiste qu’une
cicatrice pigmentaire au fond d’oeil, le développement mental est normal.


La Syphilis n’est plus rencontrée qu’exceptionnellement. Nous avons cependant observé depuis quelques années, deux cas où elle était responsable d’une hépatite ictérigène chez des nouveau-nés, avec énorme foie très dur et signes cutanés muqueux ; la mort est survenue dans le coma dans un cas ; l’autre enfant a guéri grâce au traitement par la Pénicilline.

Nombreux sont les virus atteignant électivement le foie. Les virus de l’hépatite épidémique se distinguent de façon curieuse en ceci que seul le virus B semble traverser le placenta. Au contraire, le virus A, bien que doué d’un rôle abortif très marqué, laisse le plus souvent
indemne l’enfant né prématurément. Nous avons observé de nombreux prématurés nés de mères en pleine hépatite épidémique ; aucun n’a présenté d’ictère pathologique. En revanche, comme ALAGILLE l’a récemment rappelé, il existe des preuves certaines de la transmission placentaire de l’hépatite du sérum, chez des nouveau-nés ictériques dont la mère peut héberger pendant des années l’agent pathogène (virus B).

L’ictère grave de la maladie des inclusions cytomégaliques est bien connu. L’ictère précoce et rapidement intense, l’hépatosplénomégalie volumineuse, le purpura, l’anémie, l’érythroblastose sanguine peuvent évoquer au premier abord une incompatibilité sanguine Rh, mais le diagnostic peut être fait par la présence de cellules à inclusions cytomégaliques dans le sédiment urinaire, et enfin les constatations histologiques sont caractéristiques.

Le virus herpétique peut également être responsable d’une hépatite mortelle.
Les HÉPATIES ACQUISES chez le prématuré sont de nature microbienne ou virale.
Les germes de l’infection ombilicale, les microbes pathogènes de la flore fécale peuvent provoquer dans les premiers jours une septicémie avec ictère grave.

En cours d’élevage, nous avons observé un certain nombre d’ictères chez les prématurés. Ces ictères surviennent après la période néo-natale proprement dite, au bout de 3 à 6 semaines. Ils s’accompagnent d’augmentation de volume du foie, de selles décolorées, d’urines foncées contenant des pigments et des sels biliaires, d’une hyperbilirubinémie à prédominance directe. Leur évolution est souvent assez prolongée, pouvant durer plusieurs semaines avec des variations dans l’intensité de l’ictère, et la guérison est habituelle. Ces enfants avaient pour la plupart reçu des transfusions, mais dans la majorité des cas, la preuve a pu être apportée qu’il ne s’agissait pas d’une transmission, par cette voie, du virus de l’hépatite du sérum, car les mêmes donneurs avaient impunément servi pour d’autres enfants. Les longs délais d’incubation font qu’on ne peut pas éliminer une transmission du virus par une mère qui en serait atteinte. Une infection par voie digestive est peu probable, en raison des précautions prises dans l’asepsie des soins et la stérilisation du matériel.

Reste, chez les très petits prématurés, le cas très curieux du syndrome que nous avons décrit en 1958 triade associant un ictère, une pneumopathie et un rachitisme ostéornalacique extrêmement important.

Chez cinq prématurés, tous de poids inférieur à 1.300 g., nous avons observé, sous une forme presque épidémique, car ces cas se sont groupés dans la même période de l’année, une affection caractérisée par un ictère par hépatite, apparu entre la 6me semaine et le 5e mois, suivi d’un syndrome respiratoire subaigu traînant, avec opacités hilifuges d’aspect réticulé ou micronodulaire, et enfin une grande dystrophie osseuse avec atteinte diaphysaire prédominante, image de double contour clair, fractures multiples et hypocalcémie marquée. L’évolution a été, sauf dans un cas, favorable, l’action de la vitamine D étant très nette. Les lésions hépatiques semblent jouer un rôle déterminant dans les troubles de l’absorption tant du Calcium que de la vitamine D. L’étiologie virale, en faveur de laquelle plaideraient les caractères cliniques et radiologiques de la pneumopathie, sa ténacité, sa résistance aux antibiotiques, est possible bien que non démontrée. Là encore le rôle du terrain spécial du prématuré est fondamental. La conséquence pratique à tirer est d’augmenter chez les très petits prématurés les doses habituellement données de vitamine D (alcoolo soluble), et ne pas craindre d’en donner chaque jour 3.000 à 6.ooo U.I. au lieu de la dose de 700 à 1.000 U.I. ordinairement prescrite.

Les ictères liés à la prématurité. - Nous pouvons distinguer trois formes selon la gravité croissante, liée au degré plus ou moins élevé de la bilirubinémie, reflet de l’immaturité hépatique : l’ictère simple, l’ictère intense curable, l’ictère nucléaire.
Ces trois formes sont séparées par des différences non de nature, mais de degré : c’est donc le taux et l’évolution de la bilirubinémie indirecte qu’il convient de bien connaître.

La bilirubinémie indirecte et ses variations. - Une première question se pose relativement au dosage de la bilirubine. Celui-ci est délicat et, malgré toutes les précautions prises, reste sujet à des causes d’erreur : variabilité des solutions étalons de bilirubine variation des taux réels en fonction du temps écoulé depuis le prélèvement; mais surtout les diverses techniques employées ne donnent pas les mêmes chiffres en valeur absolue : des différences allant jusqu’à 30 à 50 mg. peuvent s’observer entre plusieurs laboratoires employant des méthodes différentes. Chaque centre doit donc se faire sa propre courbe de référence, d’après son expérience clinique, et s’y tenir ensuite, en utilisant toujours la même technique. Les chiffres que nous indiquons obtenus avec la méthode de COLIN, ne correspondent donc pas forcément aux chiffres d’autres auteurs.

La bilirubinémie du nouveau-né évolue de la façon suivante. Chez le foetus, il existe une hyperbilirubinémie physiologique (15 mg p. 1000) supérieure à celle de sa mère (8 mg. p. 1000). Selon Cl. SMITH elle serait due à la résorption de petites hémorragies au niveau des villosités choriales.

Chez le nouveau-né à terme, la bilirubinémie s’élève après la naissance, légèrement en l’absence d’ictère, davantage en sa présence, atteignant 50 à 75 mg. p. 1000 pour redescendre à la normale en 8 à 10 jours.

Chez le prématuré, le chiffre de départ est plus élevé : de l’ordre de 30 à 50 mg. p. 1000. Il s’élève ensuite rapidement et, dans l’ictère franc du prématuré, atteint les taux suivants: pour Mary CROSSE: 40 le 2e jour, 6o à 90 le 4e et 7p à 100 le 6e jour.

De notre côté, nous avons trouvé, sur 180 dosages, des taux allant jusqu’à 6o à 75 mg. le 2e jour, 100 à 120 le 3e, 125 à 130 du 4e au 6e jour, 90 au 10e jour, 48 au 12e ,30 du 15e au 20e jour, 12 à 15 du 20e au 25e jour. Le maximum, on le voit, est atteint au 6e jour.

Les ictères simples s’accompagnent de taux ne dépassant pas 6o à 90 mg. à cette date ; les ictères intenses correspondent à des chiffres compris entre 110 et 150 mg., parfois davantage; enfin dans les ictères nucléaires, le seuil de 150 mg. est le plus souvent largement dépassé et la plupart de nos cas se situent au-dessus de 180 mg. On comprend toute l’importance de cette notion de seuil: il y a entre 125 et 180 mg. une zone mal délimitée : comment affirmer qu’un ictère intense ne va pas subitement virer à l’ictère nucléaire ? cela est d’autant plus difficile que de nombreux cas évoluent vers la guérison après avoir atteint et dépassé les taux critiques, tandis que des ictères nucléaires peuvent même survenir avec des chiffres relativement bas de bilirubine, comme l’a indiqué HARRIS. Les avis restent donc très partagés. Chaque auteur a adopté son “ seuil “ personnel, et la seule erreur serait de prendre au pied de la lettre les chiffres indiqués par d’autres : encore une fois il convient de se faire sa propre référence personnelle. Ainsi, Mary CROSSE donne comme “seuil” : 180 mg. p. 1000 ; ALLEN et DIAJ1oND : 200 ; HOTTINGER : 210 ; nous mêmes : 180 ; NEWNS : 300.

Il ne paraît pas encore possible, pour les raisons techniques indiquées plus haut, d’uniformiser les résultats.

L’ictère simple du prématuré. - Nous ne retiendrons ici que les traits qui le différencient de l’ictère simple du nouveau-né à terme.

Sa très grande fréquence : au dessous de 1800 g., l’ictère est quasi constant, tandis que, chez l’enfant à terme, il ne se manifeste que dans 30 à 40 p. 100 des cas. Cependant, deux exceptions sont à relever : chez les prématurés nés de mères atteintes de toxémie gravidique d’une part, chez les enfants nés à terme ou près du terme mais de très faible poids, d’autre part, l’ictère est au contraire inconstant et reste léger. La cause de cette discordance n’est pas éclaircie. Sa date d’apparition, précoce en général, se situe plus volontiers le 2e et le 3e jour, mais elle se place parfois dès les 24 premières heures.

L’ictère se superpose à une érythrose marquée, il atteint souvent les muqueuses, langue, conjonctive ainsi que la cornée ; les urines sont souvent foncées et contiennent parfois des sels biliaires, plus rarement des pigments.

Sa durée est plus prolongée que chez l’enfant à terme, elle excède souvent le 15e jour.
Les facteurs d’anoxie néo-natale semblent accentuer l’importance de l’ictère.

Les ictères marqués s’accompagnent d’un certain abattement, avec réactions faibles, et quelques rejets bilieux. La courbe de poids est stationnaire après la chute initiale et la reprise est plus lente. Mais tout rentre dans l’ordre.

Tous ces signes sont à leur maximum dans la seconde forme : l’ictère intense hyperbilirubinémique.

L’ictère intense hyperbilirubinémique frappe par la coloration jaune foncé de la peau et des muqueuses, s’installant et surtout s’accentuant rapidement. De plus, l’enfant est souvent particulière- ment abattu, endormi ; sa chute de poids est spécialement marquée. Deux ordres de symptômes peuvent venir compliquer l’évolution et poser des problèmes difficiles à résoudre :

Un syndrome digestif qu’avec ALISON nous avons décrit sous le nom de Syndrome de stase pyloro duodénale : le prématuré a une grande distension abdominale, des vomissements fréquents ; dès avant les premiers gavages, il rejette des mucosités jaunâtres, puis, une fois l’alimentation mise en train, du lait fortement teinté de bile; ces vomissements se répètent à chaque tentative de gavage, entraînant une déshydratation profonde et un état alarmant. C’est tout le tableau d’une atrésie haute du tube digestif, mais l’air est réparti dans tout l’abdomen et il n’y a pas de niveaux liquides. Il faut pratiquer des aspirations du contenu de l’estomac, fragmenter les repas et recourir parfois à la perfusion qui amène en général, une sédation complète.

Des signes nerveux peuvent également se manifester plus rarement torpeur marquée, troubles du tonus, hypotonie intense ou au contraire petits spasmes hypertoniques passagers, à la limite d’une convulsion ; rejet de la tête en arrière ; mouvements anormaux des globes oculaires. Ces signes très inquiétants au cours d’un ictère intense vers le 4e 5e jour, font redouter la complication majeure. Les taux de bilirubinémie sont dans la zone limite aux frontières mal tranchées qui s’étend autour de i8o mg. p. 1000. Or l’évolution est favorable, l’ictère disparaît lentement et tout régresse en quelques jours sans laisser de trace. Reste à savoir si la guérison est complète, sans aucune de ces séquelles qui bien souvent n’apparaîssent qu’après un “intervalle libre” de 4 à 5 mois. Nous pouvons affirmer cette guérison dans 9 cas où la bilirubinémie dépassait 180 mg. En revanche, nous avons eu des séquelles neurologiques très graves chez un prématuré qui n’avait pas dépassé 160 mg. On voit combien le problème est difficile.

L’ictère nucléaire est un des plus gravés accidents liés à la prématurité.

Sa fréquence n’est pas très grande: 2,3%  des autopsies pour Mary CROSSE, GERRARD et MEYER ; 2,2% dans notre série publiée en 1957. Il frappe essentiellement les prématurés de très faible poids : sur 30 cas observés par nous, 22 concernaient des enfants pesant moins de 1600 g. : ce sont évidemment les plus fragiles. Son début se fait en général dans le cours du 2 jour. Mais il peut être plus tardif, en tous cas il n’a jamais la précocité de l’ictère au cours de l’incompatibilité Rh. Rapidement il s’intensifie prend une teinte verdâtre, s’accompagne d’urines foncées, mais d’un méconium normal, sans augmentation de volume du foie et de la rate. L’enfant est fatigué, endormi, n’a pas la gesticulation du prématuré normal. C’est vers
le 5e, 6e jour surtout que le tableau va changer brusquement par l’apparition de signes nerveux. La date du sixième jour représente vraiment le cap critique de l’affection et il faut à tout prix éviter ces manifestations par un traitement approprié, sinon elles viendront
attester la constitution irrémédiable des lésions nucléaires. Ces signes sont bien connus : hypotonie de la nuque, crises d’hypertonie des membres, coma, convulsions, disparition des réflexes de succion, mouvements des globes oculaires “ en coucher de soleil “, hypoaethermie, troubles vasomoteurs, enfin crises d’apnée et de cyanose dont la fréquence et la gravité vont croissant. Le liquide céphalo-rachidien est jaune foncé, sa cytologie est normale mais l’albuminorachie est élevée à 2 ou 3 g. p. 1000, taux nettement supérieur à celui
qu’il est habituel d’observer chez le prématuré. Une hémorragie méningée est souvent associée. L’évolution est extrêmement grave: la mort est habituelle, elle survient souvent plus tardivement que dans l’ictère nucléaire de cause Rh. Quand l’enfant survit, les séquelr
les pychomotrices et mentales sont constantes.

Dans notre expérience, les ictères nucléaires, se sont accompagnés d’un taux de bilirubine en général au dessus de 180 mg. p. 1.000. Le mécanisme physiopathologique de l’ictère nucléaire du pré: maturé est maintenant éclairci dans ses grandes lignes.

Le pigment libre a été extrait des noyaux gris (COLE et LATHE),  la maladie reproduite expérimentalement par injection intra péritonéale de bilirubine indirecte au rat nouveau-né (WATERS), et DAY a apporté une contribution remarquable à l’explication des faits en
prouvant par une série d’expériences sur le métabolisme cellulaire tant animal que végétal, que la méso bilirubine agit sur la cellule en inhibant la respiration cellulaire et en abaissant la consommation d’oxygène. ERNSTER et Coli. ont retrouvé le même fait au niveau des
cellules cérébrales. Mais si le phénomène est réversible à l’échelon cellulaire sous l’action des oxydants comme le bleu de méthylène ou la cytochrome C, aucune action thérapeutique n’a pu être obtenue cliniquement avec ces produits.

Chez le prématuré, diverses circonstances favorisent la complication. Ce sont d’abord les facteurs qui accentuent l’hémolyse: hyper oxygénation (BAKKER), vitaminothérapie excessive et intempestive par la vitamine K2 (BOUND, GASSER) ; ces faits n’ont pas été
retrouvés par tous les auteurs et ils ne nous ont pas paru évidents dans notre champ d’observation. Ce sont ensuite les facteurs favorisant la souffrance cellulaire : l’hypoglycémie (GERRARD, DAY) et surtout l’anoxie. Avec BOUND, avec GOVAN et SCOTT, nous insistons sur le rôle très nocif de cette dernière : il faut souligner la fréquence des circonstances d’anoxie pendant le travail et à la naissance chez les prématurés qui seront atteints d’ictère nucléaire. D’autre part, on est frappé par l’identité des lésions histologiques dans l’anoxie cérébrale pure et l’ictère des noyaux gris (même topographie élective autour du 3me ventricule, même congestion vasculaire, mêmes lésions dégénératives des cellules nerveuses et de leurs noyaux). C’est donc la convergence de ces divers facteurs, s’ajoutant les uns aux autres qui provoquent cette grave complication nerveuse sur le terrain de la grande immaturité.

TRAITEMENT


Nous n’envisagerons que le traitement des ictères graves liés à la prématurité.

On aimerait pouvoir se baser sur un “ chiffre clé “ donnant une solution infaillible à la question qui se pose : dans quels cas faut-il procéder à l’exsanguino-transfusion ? Celle-ci constitue en effet, tout comme dans la maladie hémolytique et pour les mêmes raisons, le seul traitement préventif de l’ictère nucléaire. Certains, comme Mary CROSSE, se basent seulement sur la notion du seuil critique on interviendra dès que celui-ci est atteint (180 mg. p. 1.000 pour cet auteur) ; le processus est automatique, ce qui conduit à pratiquer un grand nombre d’exsanguino-transfusion probablement inutiles, mais le risque n’est pas à mettre en balance avec le danger de complication nerveuse incurable. La plupart des auteurs appliquent cette règle, mais à des seuils critiques qui peuvent différer de l’un à l’autre: 210 mg. p. 1000 (HOTTINGER) ; 300 (NEWNS). D’autres auteurs ont une attitude plus nuancée. GARRISSON RAPMUND et coll. trouvent des taux de bilirubine dépassant 200 mg. p. 1000  chez 10 p.100 de leurs prématurés et ne croient pas que l’exsanguino-transfusion doive être une méthode “ de routine “ dans ces conditions. Nous sommes enclins à adopter plutôt une zone critique qu’un seul linéaire: zone indécise certes, se situant entre 180 et 200 mg. p. 1000 et c’est là que doit s’exercer le sens clinique du pédiatre : il sera conduit, au sein de cette zone, à décider ou à différer l’exsanguino-transfusion sur l’aspect de l’enfant, son comportement, ses réactions, sa respiration ; surtout il suivra attentivement l’évolution clinique et répétera les dosages de bilirubine aussi sauvent que possible pendant les 24 ou 48 heures critiques. Plus que le taux absolu de la bilirubine, sa rapidité d’ascension a de la valeur. Un chiffre supérieur à 160 mg. p. 1.000 au 3e jour peut faire discuter l’intervention, alors que le même chiffre au 6e jour, si l’enfant va bien, permet d’attendre.

Avec cette méthode bien mise au point par ALISON au Centre des Prématurés de l’Ecole de Puériculture, les faits observés ont été les suivants (Tableau 1)

- Dans une première période, du 1er janvier 1952 au 31 Octobre 1958, aucune exsanguino-transfusion n’a été faite, à l’exception d’une seule.

Nous avons découvert 26 ictères nucléaires sur 969 autopsies soit 2,6%.
- Dans une deuxième période, du 1er Novembre 1958 au 31 Octobre 1959, les indications n’étaient pas encore parfaitement précises, nous avons eu 72 prématurés présentant un ictère hyperbilirubinémique, dont 13 ont été exsanguinés. Il y a eu pendant cette période 4 ictères nucléaires sur 114 autospies soit 3,5%.

- Dans la troisième période, du 1er novembre 1959 au 31 Décembre 1960, les indications se sont précisées.

On a observé prématurés hyperbilirubinémiques dont 16 ont été exsanguinés. Il n’y a eu aucun ictère nucléaire sur 120 autopsies.

La méthode éclectique qui est employée aboutit donc à un nombre modéré d’exsanguino-transfusions = moins de 2,5% de tous les prématurés admis.

TABLEAU 1. - Evolution de la fréquence des Ictères Nucléaires en fonction du traitement.




Autopsies
Ictères Nucléaires
%
1er période
Pas de traitement
969
26
2,6
2em période
Indications E.S.T imprécises
114
4
3,5
3em période
Indications E.S.T précisées
120
0
0



Nous sommes loin du chiffre donné par Mary CROSSE, qui atteint 8,4%. Dans les ictères assez intenses ou l’Exsanguino-transfusion ne paraît pas indiquée, divers traitements peuvent être mis en oeuvre: les perfusions de plasma dilué, à raison de 50 à 100 g. de plasma dans
égale quantité de sérum glucosé, nous ont paru hâter la régression de l’ictère. ODELL a noté des faits semblables : l’augmentation des albumines circulantes soustrait aux tissus une quantité notable de bilirubine. Nous avons également, mais sans grande conviction, donné à la plupart de ces enfants des corticoïdes à dose de 1 à 2 mg. kg. D’autres traitements tels que les perfusions d’arginine, de “periston” ont été proposés.

Comme l’indiquent les résultats actuels dus à ALISON, une surveillance clinique et biologique attentive permet de réduire à presque rien cette redoutable complication de la prématurité.

 Rechercher complété par A.Rossier

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES


AIDIN (R.), CORNER (B.) et TOVEY (G.). Kern icterus and prematurity. Lancet 1950, 258, 1153.

ALAGILLE (D.). — Les hépatites du nouveau-né. Mcd. Infant. 195. 64, 13.

GROSSE (V. M.), MEYER (T. C.) et GERRARD (J. W.). Kern icterus and prematurity. Arcli. Dis. Child. 1955, 30, 501.

DAY (R.). New observations on the toxicity of hlood pigments. Pediatrics 1956, 17, 925.

GOVAN (A. D.T .) et SCOTT (J. M.). — Kern icterus and prematuritv Lancet 1953 234. 611.

HOTTINGER (A.). — Etude clinique sur l’ictère nucléaire érythroblasti- que du prématuré. Ann. Ped. Sem. H6p. 1957, 33, 2913.

LAUMONIER (R.). — Lesions hepatiques et anoxie neo-natale. Ann. Pci. Sem. H6p. 1956, 32, 2414.

LELONG (M.), R0sSIER (A.) et ALAGILLE (D.). — Etude fonctionnelle du foie chez le prématuré. Rev. lot. Hépat. 1955, 5, 1129.

ODELL (G.). — Dissociation of bilirubin from albumine and its clinical implications. j. Ped. 1959, 55, 268.

RAPMUND (G.), BOWMAN (J.) et HARRIS (R.). — Bilirubinemia in nonerythroblastosic premature infants. Arcli. Dis. Child. 1960, 99, 604.

RAPPORTS DU xviie CONGRÈS DE L’ASSOCIATION DES PÉDIATRIES DE LANGUE FRANCAISE. Montpellier 12-14 Oct. 1959. In. Rev. Int. Hépat. 1960, 10, 1 et 2.

ROSSIER (A.). — L’ictère nucléaire du prématuré. Etudes Néonat. 1957,6,51.

ROSSIER (A.). — Dystrophie osseuse rachitiforme chez les prématurés. Arch. Fr. Ped. 1958, 15, 477.

SARRUT (S.) et NEZELOF (Ch.). — La maturation hépatique, ses aspects histologiques. Rev. Int. Hépatologie. 1959, 9, 425.

SARRUT (S.) et NEZELOF (Ch.). — Aspects histologiques du foie au cours de l’ictère physiologique du nouveau-né. Rev. Int. Hépat. 1959, 9, 473.


samedi 11 janvier 2014

Données Histophysiologiques


La glande interstitielle du testicule adulte apparaît comme une glande endocrine. Ses élaborations hormonales, multiples, tiennent notamment sous leur dépendance la morphologie et le fonctionnement d’un certain nombre d’organes ou de tissus ; plusieurs de ces organes sensibles à l’action des hormones mâles apparaissent comme des «caractères sexuels secondaires ».

Le problème d’histophysiologie relatif à l’activité endocrine du testicule consiste à localiser la source cellulaire des hormones mâles.

A. Généralités


Les hormones mâles (comme d’ailleurs les hormones femelles) déterminent, à un certain moment de la vie, une transformation morphologique de l’individu qui le fait passer de l’habitus du sujet impubère à l’aspect du sujet adulte; cette différenciation sexuelle se traduit par l’acquisition de caractères sexuels secondaires.

On classe en effet, rappelons-le, les caractères sexuels de la façon suivante:

1. Caractères sexuels primordiaux correspondant au sexe génétique fixé à la fécondation et résultant de la combinaison chromosomique des cellules sexuelles des procréateurs (combinaison d’autosomes et d’hétérochromosomes)

2. Caractères sexuels primitifs, correspondant au sexe gonadique, apparaissant chez l’embryon et résultant de l’évolution d’une gonade d’abord indifférenciée;

3. Caractères sexuels primaires, correspondant au sexe gonophorique, apparaissant après le développement de la gonade et sous l’influence des sécrétions de cette gonade dans ces conditions se constituent les conduits génitaux et leurs glandes annexes, ainsi que les organes génitaux externes ;

4. Caractères sexuels secondaires, correspondant au sexe somatique qui se manifeste après la puberté et qui se traduit par le développement harmonieux de certains organes-cibles; ce développement prouve l’action morphogène des hormones sexuelles ; ces caractères ne se manifestent pas en l’absence des hormones sexuelles 1.

B. Origine cellulaire des hormones mâles

Le testicule adulte comprend en somme trois éléments:
- les cellules germinales;
- les cellules de Sertoli,
- les cellules de Leydig.

Pour établir l’origine cellulaire des hormones mâles, on recherche, par des combinaisons expérimentales ou par l’observation de cas pathologiques, un parallèle entre l’état du développement de ces constituants du testicule et la présence (ou l’absence) des caractères sexuels secondaires.


1. CARACTÈRES SEXUELS SECONDAIRES ET GLANDE INTERSTITIELLE


Nous résumons, dans le tableau synoptique ci-après, l’influence de certaines circonstances expérimentales ou pathologiques sur les trois catégories d’éléments testiculaires.

En somme, les caractères sexuels secondaires ont un développement parallèle à celui de la glande interstitielle.

________________________________________________________________________

circonstances                     lignée                      cellules         cellules                       caractères
d’observation                     germinale               de Sertoli      de Leydig                     sexuels
                                                                                                                                      secondaires  
________________________________________________________________________

ligature du canal               absente             normales             normales                 développés           déférent                                                                                                                                        
dissociation diastémato-                                                                                                            
spermatique                                                                               
cryptorchidie
________________________________________________________________________

injection de gonado-        absente                 peu développées       activées       développés           stimuline (ICSH) à                                                                                                                       
l’animal impubère                                                                                                                        
________________________________________________________________________

injection de gonado-        activée                     développées      absentes                        absents     stimuline (FSH) à
l’animal impubère
________________________________________________________________________

carence vitaminique     conservée                     conservées       détruites             absents               A ou B
________________________________________________________________________

irradiation (400 r)       différenciée                  différenciées      détruites            arrêt du
chez l’animal pré pubère                                                                                  développement                                                                                                                                                                     
________________________________________________________________________

irradiation (10000 r)    détruite                          détruites         persistantes     persistants              chez l’adulte                                                                                                                               
________________________________________________________________________

tumeurs à cellules       absente      peu développées    hyperplasiées       pseudo-puberté
interstitielles                                                                                                          précoce              
chez l’enfant                                                                                                                               
________________________________________________________________________


2. CAS PARTICULIER DE LA «DISSOCIATION DIASTEMATO-SPERMATIQUE»


L’absence naturelle, expérimentale, ou pathologique, de la lignée germinale avec persistance de la glande interstitielle (ou glande diastématique) réalise une «dissociation diastémato-spermatique ».

Une telle dissociation existe à l’état naturel chez les Mammifères hibernants, à diverses périodes de l’année.

Des observations, comprenant simultanément une étude cytologique de l’antéhypophyse et de tout l’appareil génital, ont été effectuées, par exemple, chez le Hérisson [travaux de GIR0D et CURÉ (1965)]
- de mai à août, la glande diastématique et ses organes-cibles sont fort développés ; il en est de même des tubes séminifères
- en octobre, les cellules interstitielles et leurs organes-cibles ont subi une profonde involution, alors que de nombreuses images de spermatogénèse s’observent encore dans les tubes séminifères
- en mars et avril, la glande interstitielle et ses organes-cibles ont récupéré une activité importante, tandis que la spermatogénèse n’est pas encore rétablie.

Cette dissociation peut être réalisée expérimentalement chez l’animal en détruisant soit seulement la lignée germinale soit seulement la glande diastématique. (cf. tableau ci-dessus).

Des expériences effectuées chez le Singe ont permis d’étudier diverses modalités de cette dissociation [recherches de GIR0D (1964-1966)] chez le Singe, le chlorure de cadmium entraîne une nécrose des trois catégories d’éléments cellulaires du testicule ; si l’on suit la réparation spontanée de ces lésions, on observe que plusieurs mois après l’injection de Cl2Cd, elle s’effectue dans un ordre défini:

- les cellules de Sertoli se reconstituent d’abord;
- puis les cellules interstitielles réapparaissent;
- enfin la lignée germinale se reforme lentement.

Or les organes-cibles des hormones mâles ne récupèrent leur morphologie «normale» qu’au moment de la reconstitution de la glande interstitielle (ils ne sont pas développés quand les cellules de Sertoli peuplent les tubes séminifères).

La pathologie humaine ou animale réalise un tableau de dissociation diastémato-spermatique: c’est le cas du testicule cryptorchide (testicule en position ectopique, inguinale ou abdominale) ou du syndrome de DEL CASTILLO ou encore du syndrome de KLINEFELTER (Image 1) ; de telles dissociations peuvent s’observer chez des hommes stériles sans modification du caryotype (Image 2).

Dans le testicule cryptorchide le diamètre des tubes séminifères est toujours inférieur aux valeurs «normales» ; la lignée germinale est soit absente soit très réduite (comprenant, lorsqu’elle existe, des altérations qualitatives) - Les cellules de Sertoli sont cependant abondantes. Quant à la glande interstitielle, elle est développée (paraissant même plus importante; mais ce n’est qu’une impression due aux proportions respectives du volume des tubes et du volume des espaces intertubulaires) - Les caractères sexuels secondaires se sont développés normalement.

3. LES TUMEURS TESTICULAIRES ENDOCRINES


Il existe, chez l’Homme comme chez l’animal, des tumeurs sécrétantes des cellules de Leydig (Image 3) ; elles entraînent des modifications générales liées à l’hypersécrétion d’androgènes.

Aspects pathologiques  testicule humain
Image 1. Aspects pathologiques du testicule humain
1 et 2 Testicule cryptorchide. Noter que dans le tube séminifère, dont la membrane propre est normale, il ne persiste que des cellules de Sertoli Remarquer le développement apparent de o glande interstitielle.

3. Syndrome de Del Castillo, Trabucio et De la Balze ( «Sertoli cell only syndrome » des auteurs anglo-saxons) le tube séminifère est occupé uniquement par des tel ules de Sertoli noter le léger épaississement e la membrane propre du tube es ce lues de Leydig ne sont pas modifiées.

4. Syndrome de Khinefelter avec caryotype 47, XXY. Remarquer épaississement de la membrane propre du tube, les lésions de la paroi tubulaire dans laquelle on ne reconnaît que des cellules de Sertoli les cellules de Leydig hypertrophiées.

a. OBSERVATIONS IN VIVO

L’existence de tumeurs sécrétantes à cellules de Leydig développées chez le jeune enfant est très instructive

- une telle tumeur entraîne un développement précoce des caractères sexuels secondaires;
- si elle n’intéresse qu’un seul testicule, l’ablation chirurgicale de cette néoplasie provoque, chez cet enfant n’ayant pas atteint l’âge de la puberté, une régression des caractères sexuels secondaires prématurément développés;
- mais ces caractères sexuels réapparaissent lorsque le testicule intact subit la maturation morphologique et fonctionnelle caractéristique de la puberté.

Aspects pathologiques testicule humain observés chez hommes stériles modification caryotype
Image 2. Aspects pathologiques du testicule humain observés chez hommes stériles sans modification du caryotype
1. Aspects de plusieurs tubes séminifères ; l’épaississement des membranes propres varie d’un tube à l’autre.
2 et 3 Aspects, à de plus forts grossissement des tubes séminifères ; noter la disparition presque complète des éléments de la lignée germinale et l’épaississement important des membranes propres.


b. OBSERVATIONS IN VITRO

Des tumeurs humaines à cellules de Leydig ont pu être cultivées in vitro; dans ces conditions, on a pu suivre toutes les étapes de la biosynthèse des androgènes par ces cellules2.

Chez l’animal, on rencontre également des tumeurs des cellules de Leydig: chez le Rat, de telles tumeurs peuvent être greffées ; si elles sont greffées à des animaux ayant subi une castration pré- pubertaire, la sécrétion du greffon entraîne un développement, d’ailleurs considérable, des caractères sexuels secondaires [expériences de COURRIER et coll. (1964-1965)].

Les cellules interstitielles du Rat peuvent également être mises en culture ; dans ces conditions, on y a détecté de la 3 β - hydroxystéroïde déshydrogénase [STEINRERGER et coll. 1966-1967)].

Tumeurs cellules Leydig
Image 3. Tumeurs à cellules de Leydig
1. Aspect au faible grossissement.
2 Aspect au fort grossissement.

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1 - Certains auteurs ont parlé de caractères sexuels tertiaires pour désigner le sexe psychologique.

2 - Puar être plus près de la vérité, il faut bien reconnaîtra que certaines tumeurs sécrétantes du testicule humain possèdent des systèmes enzymatiques « anormaux » par rapport aux cellules de Leydig « habituelles » en effet, de telles tumeurs peuvent élaborer toute une variété de C19 et C21- stéroïdes [ENGEL et coll. (1966)].